Izabela Moszczeńska-Rzepecka (1864-1941)
2024-04-23Stefan Dziekoński: Pierwsza opowieść z Wielkiego Lasu
2024-05-02Alexandru Vlahu: Sur le Danube
Le soleil s'enfonce à l'occident. Les crêtes des montagnes apparaissent de flamme. Lentement se déploient et s'étendent sur les vallées, comme des draperies d'ombre.
En avant de nous, sur le luisant plombé de l'eau, se montre de biais, d'abord une barre, une crinière jaunâtre et ondulée : nous approchons du seuil des cataractes. Le Danube commence à gronder, courroucé; c'est un tumulte et un bouillonnement de vagues, d'une rive jusqu'à l'autre. Par dessus les profondeurs se forment
de larges cercles qui tournoient sur place. D'un côté, Peau s'écroule, gargouillante, comme aspirée par la gueule d'un abîme — d'un autre, elle s'enfle, regorge à gros bouillons, et mugit en écumant, brisée contre d'invisibles rochers.
Le bateau avance moins vite, prudemment. Quatre hommes se tiennent près de la roue du gouvernail; les commandants sont tous deux sur le pont, debout, le regard tendu en avant: nous traversons les cataractes.
Le Danube mugit plus fort. En fermant les yeux, on se croirait au cœur d'une forêt, pendant un terrible ouragan. Du fond de l'eau se tendent, surgissant des flots, d'innombrables bras de pierre, prêts à saisir le bateau et à le briser en mille morceaux, à la moindre imprudence.
Ici, sous cette trombe de vagues, se noue la jointure des Balkans avec les Carpathes. Au-dessus de leurs poings crispés, se précipite le Danube, furieux, rompant avec fracas les derniers obstacles qui barrent sa route. Et, dans la mêlée de ce choc de Titans, il semble que chaque flot ait un cri, chaque rocher un geste.
Soudain, l'eau glisse par dessus son anguleuse écluse, et s'étale comme une nappe. La lutte, la monstrueuse lutte a cessé entre les deux géants qui, désormais, auront à monter la garde autour de la Roumanie. Vaincues, les montagnes s'écartent. L'horizon s'élargit. A gauche, jaillie du pied d'une colline, la rivière Bahna vient rencontrer le grand fleuve, et le saluer au seuil de ce Pays, dont la terre et le destin seront à jamais liés à lui. De quelle distance ne descend-il pas, et quelles luttes a dû livrer le Danube pour se frayer une route jusqu'à nous! Il lui a fallu éventrer des montagnes, se creuser un lit dans le roc, à travers les Carpathes. Il a trappe — et «les Portes de fer» se sont ouvertes devant la puissance éternelle de ses flots. Le bruit maintenant cesse ; — victorieuse, l'eau s'étale, apaisée, entre ses rives, polie comme un miroir.
Les Carpathes poussent vers le midi leurs cimes revêtues de forêts; quelques rochers, curieux, lèvent encore, parmi la verte épaisseur, leurs crânes dénudés, comme pour contempler une dernière fois ce déluge qui marche, à qui rien n'a pu tenir tête.
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